<< Retour aux articles
Image

Accès à des sites Internet juridiques en prison : l’interdiction injustifiée

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
09/02/2021
Pour la CEDH, le refus d’accès à certains sites ne contenant que des informations juridiques de nature à servir le développement et la réhabilitation de l’intéressé dans le cadre de sa profession et de ses centres d’intérêt constitue une ingérence dans l’exercice de son droit de recevoir des informations.
 
Un avocat turc est détenu provisoirement entre le 6 avril et le 7 septembre 2016. Quelques jours après son incarcération, il demande à l’administration pénitentiaire de l’autoriser à avoir accès à différents sites Internet, à savoir celui de la Cour, de la Cour constitutionnelle et du Journal officiel, afin d'obtenir des informations juridiques nécessaires pour mieux suivre les dossiers de ses clients et pour préparer sa propre défense. La demande est rejetée. Malgré plusieurs oppositions, sa requête n’est pas acceptée.
 
Le requérant invoque alors l’article 10 et allègue que le rejet de sa demande d’accès aux sites Internet a porté atteinte à son droit de recevoir des informations ou des idées.
 
La CEDH, dans un arrêt du 9 février 2021 affirme que les sites internet « contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information ». D’autant plus qu' « un nombre croissant de services et d’informations ne sont disponibles que sur Internet ». Néanmoins, l’article 10 ne peut être interprété comme imposant une obligation générale de fournir un accès à Internet aux détenus (CEDH, 19 janv. 2016, n° 17429/10 Kalda c. Estonie).
 
Cela dit, elle note que le droit turc permet l’accès des détenus à Internet dans le cadre de programmes de formation et de réinsertion. Alors, « la Cour estime que, puisque l’accès des détenus à certains sites Internet dans des buts de formation et de réinsertion était déjà prévu en droit turc, la restriction de l’accès du requérant aux sites Internet de la Cour, de la Cour constitutionnelle et du Journal officiel, qui ne contiennent que des informations juridiques de nature à servir le développement et la réhabilitation de l’intéressé dans le cadre de sa profession et de ses centres d’intérêt, constitue une ingérence dans l’exercice du droit du requérant à recevoir des informations ».
 
La Cour s’interroge ensuite sur le point de savoir si cette ingérence est justifiée ou non. Elle retient, après analyse des décisions des juridictions internes, que ces dernières n’expliquent pas suffisamment pourquoi l’accès du requérant à ces sites ne pouvait être considéré comme relevant de la formation et de la réinsertion de l’intéressé. Elles ne précisent pas non plus si le requérant devait être considéré comme un détenu présentant une certaine dangerosité ou appartenant à une organisation illégale à l’égard duquel l’accès à Internet pouvait être restreint en application des dispositions turques.
 
Ainsi, aucune autorité n’a « procédé à une analyse détaillée des risques de sécurité qui auraient résulté de l’accès du requérant aux trois sites Internet susmentionnés, d’autant plus qu’il s’agissait de sites Internet d’autorités étatiques et d’une organisation internationale et que le requérant aurait accédé seulement à ces sites Internet sous contrôle des autorités et dans les conditions que ces dernières auraient déterminées ».
 
Conclusion de la CEDH : les motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier la mesure ne sont ni pertinents ni suffisants et la mesure litigieuse non nécessaire dans une société démocratique. Le requérant recevra 1 500 euros pour dommage moral.
 
 
 
Source : Actualités du droit